Les cuisines de l'âme : chapitre 6 (Famille je t'aime - TopChrétien)
Les cuisines de l'âme : Chapitre 6
Un goût de trop peu
Il est midi. L'estomac gronde alors que le ciel est d'azur. Maurice reprend le chemin de la maison. Mais avant de combler sa faim, il appelle Roland qu'il voit tout entier au jardinage.
- Et cette visite à ta cousine?
- Cela ne rien donné.
- Ah bon!
- Je me suis fait des idées. Tu connais mon goût pour la rêverie.
- Dis, ta cousine c'est comment encore son nom de famille?
- Missol, pourquoi?
- Comme ça. Et elle n'avait pas un frère?
- Si, elle en a un. Il est en Amérique du Sud, je pense. Pourquoi, me poses-tu cette question?
- Je veux juste mettre au clair une chose qui me chiffonne.
- Laquelle?
- Je reviens d'une visite où l'on a parlé d'une vieille affaire et comme je n'aime pas les coïncidences, car on a justement parlé de ton cousin d'Amérique, je me demande ce qu'il est devenu.
- Oh! Tout ce que je sais c'est qu'il est parti en 1965, je pense, sans plus jamais revenir.
- Pas même une fois?
- Non, pas que je sache.
- C'est bizarre...
- Qu'est-ce qui est bizarre?
- La personne que je viens de voir m'a dit qu'il a été vu par la suite dans une circonstance - particulière.
- Qui?
- Monsieur Martin Blondiaux.
- Il a vu Jacques Missol?
- Non, pas lui mais son fils, Alexandre. Qu'est-ce que tu en penses, toi?
- Tu n'as qu'à aller lui demander. C'est le plus simple. C'est lui qui tient le garage sur la route de Bersillies.
- Et ta cousine?
- Quoi, ma cousine?
- Elle devrait savoir s'il est revenu ou non.
- Comme je te le dis, je ne sais rien de plus. Renseigne-toi directement auprès d'Alexandre Blondiaux ou d'Éléonore Missol. C'est encore ce que tu as de mieux à faire.
- Merci!
Le dimanche après-midi tire à sa fin quand, après le match de football, l'ancien inspecteur qui a essayé de reprendre, d'une certaine manière, un peu de service, remonte la Thure pour arriver au banc d'où Onésime l'invite du regard.
- Comment vont les choses, mon ami?
- Bien, puisque je te vois!
- Oh! je te vois aussi venir. Tu vas encore essayer de me harponner avec tes bondieuseries.
- Tu m'as l'air bien agité et nerveux. Si tu veux, je me tais.
- Non, cela va. Je suis juste trituré par une vieille histoire de meurtre qui n'a jamais été élucidée.
- Je vois! Tu as repris du service en somme. Hercule Poirot n'a qu'à bien se tenir!
- C'est ça, moque-toi. Il n'empêche que j'aurais aimé recouper une information et je suis dans l'impasse. Durant la semaine, j'ai rencontré deux personnes qui auraient pu être des témoins. Mais l'un comme l'autre ne m'ont rien appris de neuf. Rien qui puisse faire avancer mon enquête.
- C'est que tu dois t'arrêter là.
- M'arrêter? Tu ne me connais pas!
- Oh! que si... bien mieux que tu ne l'accepterais. Et c'est justement parce que je connais ce trait d'opiniâtreté chez toi que je me permets de te dire qu'il est grand temps d'ouvrir les yeux sur ton couple.
- Mon couple? Qu'est-ce que cela vient faire là-dedans?
- Tu n'en auras donc jamais fini avec cette fuite en avant?
- Quelle fuite?
- Celle qui t'a fait négliger tes devoirs de mari et que tu es prêt à reprendre pour je ne sais quel énigme.
- De quoi te mêles-tu? Je préfère encore quand tu parles de la Bible!
- Tout est lié. Si tu la lisais et la mettais en pratique, tu verrais combien ta vie de couple serait meilleure.
- Là, tu dépasses les bornes. Si tu tiens à ce qu'on ne se revoie plus, il ne tient qu'à toi de continuer sur ce registre.
- Excuse-moi, je ne voulais pas en arriver là... c'est toi qui a dépassé les bornes. Je ne devrais peut-être pas te le dire mais ta Lisette est venue, à quelques reprises, parler à mon épouse ces derniers temps. Nous prions ainsi pour vous deux depuis ce moment.
- Prier pour nous! Qu'est-ce que tu racontes! Je sais que tout n'est pas rose et violette entre ma femme et moi, mais on s'en est toujours sorti et on a continué notre petit bout de chemin ensemble.
- Pas cette fois, Maurice. Pas cette fois, Maurice. Elle va partir, Maurice. Et pour de bon!
- Qu'est-ce que tu me chantes là?
- Malgré les efforts de mon épouse pour que l'irrémédiable ne survienne, elle a contacté un avocat pour engager une procédure de divorce. Et nous craignons qu'elle n'attende pas. D'un moment à l'autre, il se peut que tu retrouves ton foyer vide. Tout cela parce que tu t'entêtes à ne pas voir la vérité en face.
- La vérité, la vérité, qu'est-ce que vous avez tous avec ce mot!
- Il n'y en a qu'une. Oh! Je ne te parle pas de la vérité judiciaire, celle dont les hommes se satisfont, mais celle qui peut transformer ta vie. Pour Dieu, tu vaux mieux que ça.
- Mieux que quoi?
- Que de finir tes jours en lui tournant le dos, en passant à côté d'une vie de couple heureuse, en cherchant je ne sais quoi dans le présent pour donner une suite à ton passé.
- Tu mens! Lisette ne me quittera jamais!
- Pourquoi, te mentirais-je? Qu'est-ce que cela me rapporterait de perdre un ami, quelqu'un que j'aime et à qui je souhaite bien de bonnes choses? Ouvre enfin tes yeux, mais aussi ton cœur et tes mains.
L'ancien inspecteur de police est sonné par cette conversation. Perdu dans ses pensées, il rentre à pas forcés chez lui et sursaute brièvement lorsqu'il voit une valise dans le hall d'entrée. Il se rend alors à la cuisine et s'assied. Il est visiblement préoccupé mais aussi causant et aimable. Lisette est tout étonnée qu'il ne prenne pas le chemin habituel vers son jardin ou son atelier. Il semble tout perdu au milieu de la pièce et désireux de partager un moment à deux. Elle ne sait pas à quoi s'attendre. Elle se sent désarmée, habituée qu'elle est à une relation maritale conflictuelle. Il lui parle, lui pose des questions sur sa matinée, lui demande comment elle va, lui tend même la main et l'invite à boire un café. Elle hésite, désarçonnée par cette transformation qu'elle craint fort éphémère. Enfin, elle prend place à ses côtés. Il lui sourit et s'ouvre un peu. Il lui fait part de ce qui le tracasse à propos de cette vieille affaire. Elle l'écoute sans tout comprendre. Il n'attend rien de précis d'elle à ce sujet, mais sa présence lui fait du bien.
- Jacques Missol? Je m'en souviens vaguement. Il me semble qu'il avait été fiancé à Rose Delsaut avant de partir pour l'Amérique.
- Rose Delsaut?
- Souviens-toi, la fille du marchand de bois. Sa famille avait quitté la région pour s'installer à Bruxelles. Mais depuis l'année dernière, elle est revenue dans la région. C'est même elle qui a ouvert le restaurant sur la grand-route, le Palais des Délices. C'est bien cela! Le Palais des Délices.
- Tu en es sûr?
- Puisque je te le dis!
- Merci, ce que tu me dis est intéressant.
- Et qu'est-ce que tu comptes faire maintenant?
- Je ne sais pas.
- Vraiment?
- Qu'est-ce que tu dirais d'aller manger au restaurant ce soir?
- Au Palais des Délices, je suppose!
- Pourquoi pas!
- Si c'est pour mener ton enquête, tu peux y aller sans moi.
- Non, je t'assure, c'est réellement pour qu'on se retrouve un peu.
- Tu es sincère?
- Oui, on peut même aller ailleurs, si tu veux.
- Non, le Palais des Délices, cela me convient très bien. Je suis curieuse de voir l'endroit et d'y goûter les spécialités dont on dit pas mal de bien.
- Qui dit cela?
- Des gens!
- Quels gens?
- Tu ne vas pas recommencer avec tes questions et cette manie de tout savoir, de creuser, de dénicher je ne sais quelle information. Promets-moi une chose.
- Laquelle?
- C'est fini maintenant les enquêtes, complètement terminé.
- D'accord, ma chérie.
- Il y a longtemps que tu ne m'as plus appelé ainsi.
- C'est vrai. Il y a trop longtemps.
- Cela vient bien à point. J'en suis contente.
- Merci! On demandera qu'il en soit de même pour la viande.
- Pour la viande?
- Qu'elle soit bien à point et la soirée commencera sous de beaux auspices.
- Oui! Qu'elle soit bien à point! Seulement, cela n'augure rien pour la suite. Il me faudra plus qu'un tête-à-tête pour entrevoir la suite.
- Tu crois?
- Oui, je le crois.
Bien attablés en cette soirée où le couple est encore hésitant, Maurice et Lisette apprécient le menu qu'ils ont choisi sur la carte. Mais plus que ce qu'il y a dans leurs assiettes et leurs verres , ils goûtent les regards qu'ils s'échangent bien maladroitement comme deux personnes qui doivent réapprendre à se regarder. Entre la poire et le fromage, ils commencent enfin à parler de ce qu'il y a sur leurs cœurs, non dans un désir de blesser l'autre, juste parce qu'ils en ressentent l'envie. Pendant ce temps, avant que les derniers clients du restaurant ne quittent les lieux, une autre carte se joue dans les cuisines. Madame Delsaut est en grande discussion avec Jimmy.
- Tu ne dois pas parler ainsi!
- C'est ma vie, pas la vôtre!
- Je ne veux pas que tu fasses des erreurs que tu pourrais regretter amèrement par la suite.
- C'est mon problème. Je n'aurais pas dû vous en parler.
- Si! Tu as bien fait.
- Je ne sais pas, en tous cas ce n'est pas pour que vous vous mêliez de mes affaires.
- Ton jour de congé, je te le donne.
- Merci!
- Oui, mais ce n'est pas pour aller avec tes copains faire de la moto.
- C'est quoi ça! Vous allez aussi maintenant me dire ce que je dois faire en dehors de votre restaurant!
- Tu dois aller voir ton amie et lui dire que c'est de ma faute si tu n'as pas pu la voir hier soir.
- Ce n'est pas votre affaire!
- Tu n'avais pas à m'en parler alors. Cette dispute que vous avez eue tous les deux, c'est bien parce que tu n'as pu te libérer hier à cause du surplus de travail que je t'ai demandé.
- Oui, mais c'est à moi de m'arranger. Si elle n'est pas contente, elle n'a qu'à aller se trouver une autre poire. J'en ai marre de ses crises. Moi, je travaille. Si elle ne comprend pas qu'elle s'en aille.
- Mais c'est toi qui part avec tes copains, pas elle.
- J'ai besoin de souffler un peu. Vous ne pouvez pas comprendre cela?
- Bien sûr, j'ai été jeune, même si cela ne se voit plus. Écoute-moi bien, je vais te confier un secret. - J'espère seulement que tu ne le divulgueras pas.
- Je n'en veux pas de votre secret.
- Pourtant je vais te le dévoiler parce qu'il peut t'aider à ne pas passer à côté de ce qui est vraiment primordial. Tu crois que ce sont ces murs, ce restaurant, le tiroir-caisse qui ont de l'importance? Non! Rien de tout cela ne peut remplacer ce que le cœur désire véritablement; aimer et être aimé. J'ai eu ton âge et j'ai été amoureuse d'un garçon que je faisais parfois un peu tourner en bourrique. C'était comme un petit jeu pas bien méchant, comme un enfantillage de jeune fille éprise, mais un jour il a pris la mouche et s'est vexé. Je ne l'ai plus vu pendant une semaine, chacun attendant que l'autre fasse le premier pas. J'étais certaine qu'il reviendrait... et je me suis lourdement trompée. A jouer à celui qui plierait en premier, j'ai perdu. Quand nous nous sommes revus il m'a annoncé qu'il envisageait sérieusement de faire un voyage au loin pour apprendre à se connaître, à être utile, à servir Dieu. Il a osé me dire ça! A moi qui n'attendais qu'une chose, me retrouver à nouveau dans ses bras. A mon tour, j'ai pris la mouche et je l'ai quitté en lui sommant de choisir entre moi et ce Dieu qui voulait l'éloigner de moi. Comment avait-il pu se faire embobiner à ce point et en si peu de temps? Un mois plus tard, alors que je me morfondais sous une carapace d'indifférence, j'ai refusé de le revoir parce qu'il m'avait invité à une réunion chrétienne pour que je réalise, disait-il, que c'était aussi bon pour moi et pour nous. Si je tenais encore à lui, je viendrais, m'avait-il fait dire. Bien sûr que je tenais à lui mais pas à ce prix. Il n'était pas question de le partager. J'espérais que ce qui ressemblait dès lors à une rupture ne soit qu'une passade, qu'une mauvaise période à passer au bout de laquelle nous allions nous retrouver et vivre un amour encore plus fort. A force d'attendre, il est parti pour le Paraguay sans que je lui aie franchement parlé, sans que je ne lui aie ouvert mon cœur. Qu'est-ce que j'en ai pleuré de ne pas lui avoir dit tout mon amour! Plus rien n'avait de goût jusqu'au jour où j'ai reçu une lettre de mon Jacques. Il m'assurait de son affection à mon égard, s'excusait d'avoir été trop entier. Il avait, selon ses mots, mis ces mois à profit pour saisir qu'il pouvait servir Dieu sans délaisser les siens, sans passer à côté d'une vie avec moi si tel était son chemin. Enfin, il m'annonçait son prochain retour pour notamment me retrouver. Je l'ai donc espéré durant de longues semaines, ne sortant plus de peur de manquer le jour de nos retrouvailles. A part un week-end à Bruxelles où je n'ai pas pu me désister, je suis restée à l'attendre impatiemment. Hélas! Il n'est jamais revenu. Il m'a menti et n'a pas eu la force de me le dire ou même de me l'écrire. Je n'ai plus jamais eu de ses nouvelles et ma vie en a été détruite. C'est comme si je m'étais dit, durant toutes ces années de désert amoureux, qu'il reviendrait un beau jour, même si je n'y croyais pas. Je me suis, pour mon malheur, accrochée à ce fol espoir sans être dupe de la réalité. Il avait choisi une autre vie sans moi et moi j'ai fait l'erreur de choisir une vie avec son absence. Tout cela à cause d'une petite dispute, d'une fierté déplacée, d'un manque de communication. Quand tu m'as demandé, après ton service, si tu pouvais avoir un jour de congé pour une ballade en moto avec tes copains mais en laissant échapper que c'était aussi pour donner une leçon à Nathalie, mon sang n'a fait qu'un tour. Je me suis sentie investie d'un rôle qui n'est pas le mien parce que j'ai trop souffert. J'ai pensé avoir le droit de m'immiscer dans ta vie privée pour que ma triste expérience serve au moins à quelqu'un, à toi Jimmy... et aussi à Nathalie que je ne connais pas. Néanmoins, une fille reste une fille et sa saute d'humeur qui n'est pas sans cause est aussi un test pour mesurer ton attachement à elle.
- Vous croyez qu'elle tient vraiment à moi?
- Je n'en doute pas une seconde! Pars vite la rejoindre. Elle t'attend!
- Vous êtes sûre?
- J'en suis certaine! Qu'est-ce que tu attends?
- Bonsoir, Madame... et merci!
- De rien, juste une dernière chose.
- Quoi?
- Parle à Nathalie. Parle-lui! N'arrête jamais de lui parler! Je suis peut-être mal placée pour te donner ce conseil, mais ce n'est pas parce que j'ai raté ma vie que tu dois en faire de même.
(Source : TopChrétien)
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